Jurisprudence | 26 janvier 2020 | Par François Oillic
Médiation en matière de marchés publics
La formation plénière de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu le 30 décembre 2019 un arrêt très intéressant en matière d’homologation d’un accord transactionnel consécutif à une médiation administrative en matière de marché public (CAA Bordeaux, 30 décembre 2019, n°19BX03235).
Bordeaux Métropole avait confié à un groupement momentané d’entreprises la construction du pont Simone Veil sur la Garonne. Consécutivement à la découverte d’un phénomène naturel d’affouillement susceptible de perturber la construction des piles du pont, le groupement avait demandé à Bordeaux Métropole une prolongation du délai d’exécution de 19 mois et un complément de rémunération. Bordeaux Métropole ayant rejeté cette demande, les parties avaient conjointement demandé au président du Tribunal administratif de Bordeaux de désigner un médiateur afin de résoudre leur différend. A l’issue du processus de médiation, un avenant n° 1 au marché avait été conclu entre les parties.
Cet avenant indique qu’il a pour objet de mettre fin au différend né des difficultés d’exécution rencontrées par le groupement à raison de ce phénomène d’affouillement et portant sur ses implications tant contractuelles que financières. Il prévoit la résiliation partielle du marché de construction en ce qui concerne certains ouvrages de génie civil impliquant la passation future, après mise en concurrence, d’un marché de substitution, la fixation du montant des travaux de génie civil dont l’exécution est maintenue, le transfert à un seul membre du groupement de l’exécution de l’ensemble des travaux de fabrication et de mise en place de la charpente métallique, le versement à cette dernière société de sommes correspondant à la rémunération de travaux supplémentaires et à l’indemnisation des préjudices que cette société a subis à raison de l’interruption des travaux, et le versement aux autres membres du groupement de sommes correspondant au rachat par Bordeaux Métropole de travaux provisoires et à l’indemnisation forfaitaire des préjudices qu’ils ont subis à raison de l’interruption des travaux.
Il précise qu’il a un caractère transactionnel pour toute forme de litige qui a pu opposer les parties et dont le fait générateur est antérieur à la date du 18 décembre 2018.
Le Tribunal administratif de Bordeaux avait refusé d’homolguer cet accord aux motifs que :
- l’avenant n°1 ne définissait pas clairement la contestation à laquelle il mettait fin en méconnaissance de l’article 2048 du code civil,
- il comportait la passation d’un nouveau marché avec un membre du groupement en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence,
- il révélait des concessions manifestement déséquilibrées en faveur du groupement d’entreprises.
La Cour rappelle que l’administration peut légalement conclure avec un ou des particuliers un protocole transactionnel afin de prévenir ou d’éteindre un litige, sous réserve de la licéité de l’objet de ce dernier, de l’existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et du respect de l’ordre public.
Elle considère que lorsque le juge est saisi d’une demande d’homologation d’un accord de médiation, il lui appartient d’appliquer les dispositions du code de justice administrative propres à ce type d’accord en s’assurant de :
- l’accord de volonté des parties,
- celles-ci n’ont pas porté atteinte à des droits dont elles n’auraient pas eu la libre disposition,
- l’accord ne contrevient pas à l’ordre public ni n’accorde de libéralité.
Les dispositions de l’article L. 213-1 du code de justice administrative n’imposent pas aux parties de conclure une médiation par une transaction au sens de l’article 2044 du code civil.
Toutefois, lorsqu’il est saisi d’une demande d’homologation d’une transaction concrétisant un accord de médiation, le juge doit encore examiner si celle-ci répond aux exigences fixées par le code civil et par le code des relations entre le public et l’administration.
La Cour juge que :
- l’avenant transactionnel n°1 indique avec précision, tant dans son préambule que dans ses stipulations, quel différend il entend résoudre,
- il respecte par ailleurs les articles 139 et 140 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016,
- Bordeaux Métropole ne peut être regardée comme ayant consenti des concessions manifestement disproportionnées. Si Bordeaux Métropole aurait pu exiger la poursuite de l’exécution du marché initial ou, au contraire, résilier l’intégralité de ce marché pour un motif d’intérêt général, la mise en œuvre de l’un ou l’autre des termes de cette alternative l’exposait, en raison du litige noué entre cet établissement public et le groupement d’entreprises quant à l’existence d’une sujétion imprévue, à d’importants risques contentieux ainsi qu’à un renchérissement probable du coût final des travaux, aurait nécessairement entraîné un allongement significatif des délais de réalisation du pont Simone Veil et serait demeurée sans incidence sur la nécessaire coordination des cotraitants et la détermination de leurs éventuelles responsabilités, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges. Dans ces conditions, eu égard à la nature des difficultés rencontrées dans l’exécution du marché et dès lors que le groupement attributaire a, réciproquement, renoncé à engager une action contentieuse ou à solliciter l’application des stipulations financières contractuellement applicables en cas de résiliation du marché, qui aurait abouti au versement à son profit d’une somme supérieure à un million d’euros, les appelants étaient fondés à soutenir que c’était à tort que les premiers juges avaient considéré que Bordeaux Métropole avait consenti des concessions manifestement disproportionnées par rapport à celles de ses cocontractants en renonçant tant à exiger la poursuite de l’exécution du marché initial qu’à en prononcer la résiliation dans sa totalité.
La transaction est homologuée.